- MARTIN (JACQUES)
- MARTIN (JACQUES)MARTIN JACQUES (1921- )Contrairement à ce que l’on croit généralement, Jacques Martin n’est pas belge, mais français (il est né à Strasbourg le 25 septembre 1921); cependant, c’est en Belgique qu’il s’est formé à partir de 1946, devenant rapidement un membre éminent de «l’école de Bruxelles» (cette appellation, dont il fut d’ailleurs l’inventeur, désigne les dessinateurs qui, dans la lignée d’Hergé, créèrent des œuvres caractérisées par un scénario très solide et un dessin à la fois réaliste et débarrassé des détails inutiles). Tout en travaillant à son œuvre personnelle, Jacques Martin fut aussi, de 1953 à 1972, un des principaux assistants d’Hergé, collaborant à certaines des aventures de Tintin, comme L’Affaire Tournesol ou Les Bijoux de la Castafiore .Jacques Martin est notamment le père du journaliste Lefranc , personnage créé en 1952 (dessins confiés à Gilles Chaillet depuis 1977), le scénariste de Jhen , un compagnon de Gilles de Rais (depuis 1978, dessins de Jean Pleyers), et d’Arno , un musicien vénitien ami de Bonaparte (depuis 1983, dessins d’André Juillard puis de Jacques Denoël). Mais il restera avant tout dans l’histoire de la bande dessinée comme l’auteur d’Alix , une série née dans le journal Tintin en 1948, et qui comporte une vingtaine d’albums, les derniers dessinés avec la collaboration du Suisse Rafael Morales (les onze volumes qui vont de La Griffe noire à L’Enfant grec sont généralement considérés comme les plus réussis).Alix, jeune citoyen romain né de parents gaulois, et son compagnon Enak, adolescent d’origine égyptienne, parcourent le monde, de l’océan Atlantique à la Chine, à l’époque de Jules César, leur chemin croisant parfois celui de personnages historiques comme Vercingétorix ou Cléopâtre. S’appuyant sur une documentation imposante, Jacques Martin se livre dans Alix à une reconstitution grandiose de l’Antiquité – de son histoire, de son architecture, de son mode de vie. Le plus étonnant réside pourtant moins dans l’authenticité de l’arrière-plan historique et des décors que dans les différents niveaux de lecture présentés par ces récits. Ceux-ci s’adressent non seulement à des enfants mais aussi à un lectorat adulte, qui percevra le pessimisme foncier de l’auteur ou l’évocation – à condition de savoir lire entre les cases – d’une sexualité qui n’avait pas encore été bridée par le judéo-christianisme (la nature de la relation entre Alix et Enak a bien sûr beaucoup intrigué les exégètes).Le scénario a souvent comme argument une remise en cause de l’ordre romain – et de sa rationalité – par un groupe d’individus agissant au nom d’une croyance, d’une religion ou d’une idéologie très anciennes, préexistantes à Rome, et dangereuses car renvoyant à une vision fantasmatique de l’univers. Ce qui séduit Jacques Martin dans le monde romain est manifestement l’héritage de la pensée grecque; rien de plus opposé qu’Alix aux mondes magiques, barbares, irrationnels de l’heroic fantasy .Au-delà d’une diversité apparente, Jacques Martin traite en fait toujours le même thème: l’avidité des hommes pour le pouvoir, qui est le grand tentateur et devant lequel chacun perd la raison (même l’amitié entre Alix et Enak sera à l’occasion altérée par le pouvoir et ses mirages). Depuis plus d’un demi-siècle, indifférent aux bouleversements qu’a connus la bande dessinée, Jacques Martin bâtit avec Alix une œuvre qui, à l’instar des monuments romains, veut défier le temps, et qui est, dans toute l’acception du terme, classique.
Encyclopédie Universelle. 2012.